Zakros est le terme générique pour designer l’huile de Crête que Jocelyne nous a permis de découvrir en 2016.
Comme pour la majorité de nos groupements d’achats R.E.S.P.E.C.T.S. a voulu se rendre sur place pour voir comment l’huile est produite. La visite a eu lieu début novembre 2018.
Pour arriver à Epano Zakros, Pano (haut), ou Ano Zakros, à l’extrémité orientale de l’île, depuis la "capitale" c’est un peu long. D’Héraklion le choix de passer par le Nord pour rejoindre Zakros permet de découvrir Agios Nikolaos, Mohlos, Sitia, Palekastro. Ano Zakros est à 38 km de Sitia (dème) district, préfecture de Lassithi. Les routes dans cette partie de l’île, peu touristique, sont étroites et sinueuses. Il faut trois heures pour faire le trajet d’Héraklion à Zakros (165km). Le retour se fera par le Sud (Xerokambos, Ziros, Koutsouras, Ano Viannos, Arkalohori, Archanes, Knossos) pour rejoindre Héraklion.
Ano Zakros est un bourg paysan de moins de 1.000 habitants à l’abri, sur le flan Est du plateau de Ziros, dans le parc naturel de Sitia. Le village, situé près d’une ligne de faille entre les montagnes de Traostalos à l’Est (alt. 515 m) et de Vigla à l’Ouest (alt.713 m), surplombe la vallée qui s’étire jusqu’à Kato Zakros ou Zakros bas, (sa plage et les vestiges de son palais Minoen) et la mer de Lybie.
L’aspect du village, avec ses maisons traditionnelles blanchies à la chaux et ses jardins fleuris, rappelle les cartes postales venues des îles grecques. Mais le peu d’activité visible nous ramène à la réalité d’une vie paysanne difficile centrée sur la monoculture de l’olivier et la culture maraîchère pour l’autoconsommation. Les troupeaux d’ovins et caprins se font rares en raison du manque de pâturages et des prix du fourrage. Cette partie de l’île est rurale, calme, minérale, naturelle ; jusqu’à exprimer une extrême simplicité signe souvent de pauvreté.
Zakros et sa vallée doivent leur survie à la présence d’une source qui irrigue les potagers, les oliviers et animait 11 petits moulins à eau dont certains sont aujourd’hui devenus des musées. En cette fin d’été, après six ou sept mois de sécheresse, il faut se rendre à l’évidence, l’eau est un bien précieux. Plus en images.
Climat : La région de Zakros est particulièrement aride et chaude l’été (même si un vent du nord-ouest, le meltémi, rafraîchit l’air). Zakros souffre aussi de précipitations aléatoires.
Animations : La vie du village s’organise grâce à quelques « institutions » : la coopérative oléicole, le Polististiko Sillogo, association qui anime le village (théâtre, concerts, animations pour enfants, expositions, radio locale, …) ; le TOEB, syndicat des eaux à usage agricole ; une pâtisserie savoureuse, coopérative de femmes de Zakros, qui propose dans de jolies boites en carton une grande variété de douceurs (parfaites pour le thé et le petit déjeuner). Il y a aussi ’incontournable « kafenio », bar traditionnel qui est le point de rencontre des hommes du village. Lieu magique où le temps semble arrêté, depuis le café (ellinikós) matinal, jusqu’au verre de raki ou de retsina, en fin de journée, accompagné de mezzé. Ici les discussions bruyantes et conviviales sont interminables (et incompréhensibles pour l’étranger).
Le tourisme : La Crète est célèbre pour sa mythologie et pour son régime bienfaisant.
Même si le tourisme est peu développé à Zakros, un développement mesuré de cette source de revenus serait la bienvenue. Et les atouts ne manquent pas : chemin de l’eau, ballades botaniques ou géologiques, randonnées, sites archéologiques, plages magnifiques (Kato Zakros, Xerokambos, …).
Mais certains préfèrent rester dans leurs traditions. D’autres, à l’inverse rêvent de revenus supplémentaires. Et les étrangers installés dans ce petit paradis ne souhaitent pas que l’arrivée massive d’étrangers fasse grimper les prix du foncier. Paradoxe à considérer.
« Le défi consiste à attirer davantage de visiteurs au printemps, lorsque la nature est partout en fleurs, ainsi qu’en automne, lorsque la chaleur est douce, et à leur proposer suffisamment d’activités pour qu’ils séjournent plus longtemps », estime Nikos Daskalakis, de l’association culturelle Politistiko Sillogo.
Une zone toutefois protégée. Le label European and Global Géoparc mondial de Sitia a été attribué en 2015. C’est un atout touristique pour la région mais aussi une protection contre un développement anarchique de cet endroit privilégié en ce qui concerne la nature et l’environnement en général, ses paysages, sa faune, sa flore. Carte.
Stella Aïlamaki, conseillère municipale de Sitia, déclarait au journal Le Monde : « Soucieux à la fois de préserver une nature sauvage et de promouvoir un tourisme responsable, des élus se sont démenés pour que l’extrême Est crétois décroche, le label géoparc de l’Unesco. La gestion du géoparc selon un concept de protection, d’éducation et de développement durable avance petit à petit. Un musée d’histoire naturelle a été inauguré à Zakros, un centre d’information du géoparc est installé dans le hameau de Karydi, haut lieu de la spéléologie. Il reste à impliquer davantage la population, à la convaincre des vertus de l’écotourisme pour la survie de la région, fragilisée par la crise grecque et l’exode rural. »
Zakros est l’étape finale du sentier de grande randonnée européen E4, qui commence au Portugal et traverse dix pays jusqu’en Crête. Cette étape au départ de Zakros, conduit, en deux heures environ, à la mer par la gorge des Morts. Plus en images.
Les oliviers se comptent ici en centaines de milliers (240.000 sont affichés sur le panneau au dessus du réservoir d’eau géré par le TOEB).
L’huile d’olive de Zakros est produite exclusivement avec des olives de la variété Koroneiki. Elle est fruitée avec un léger arôme de pomme et très peu acide (moyenne 0,3 à 0,4 pour une norme AOP Sitia Lassithi de 0,6 pour 100gr), sa couleur est verte. Elle est très douce au goût (ardence contenue).
Huile d’olive vierge extra : Une fois la cueillette terminée, les olives sont transportées à la coopérative où elles sont pressées rapidement pour éviter la fermentation et préserver les caractéristiques physico-chimiques et organoleptiques de l’huile.
La récolte se fait à la main avec l’aide de peignes vibreurs pneumatiques pour les parties hautes des arbres. Les olives tombées sur les filets (à maille fine) sont mises dans des sacs de jute. Les feuilles tombées avec les olives ne sont pas retirées. Elles serviront après le tri au moulin à nourrir les caprins.
Nous avons la chance d’assister à la première extraction d’huile de cette nouvelle saison le 7/11/2018.
Le moulin entièrement refait en 2003 est propre et bien organisé. L’investissement semble permanent car certaines machines sont neuves. Et les outils de contrôles informatisés modernes.
Les cuves inox de stockage et décantation se pressent dans une zone spécialement aménagée pour que l’opération, minimum 3 mois, ne soit pas perturbée.
L’unité d’embouteillage contiguÁ« à l’espace de stockage/décantation a été complétée et modernisée en 2017. Aujourd’hui la coopérative peut conditionner en bidons de 1L, 3L, 5L, bouteilles de 0,50, 0,75, 1L. La mise en cartons et le palettage sont aussi assistés.
Contrôle de l’huile : La qualité des olives cultivées et les méthode d’extraction mécaniques moderne, première pression à froid (la plus moderne de Grèce !?) permettent d’obtenir une huile naturelle AOP Sitia Lassithi avec la certification AGROCERT.
Pour mémoire les compétences principales de l’AGROCERT sont les suivantes :
- Certification des systèmes de production agricoles.
- Certification des produits agricoles.
- Evaluation, approbation et supervision des organes de contrôle privé et de certification, agréés par le Système National d’Accréditation.
- Préparation et publication de normes volontaires pour le secteur et développement de spécifications pour l’assurance qualité des produits agricoles.
La dénomination Huile d’olive Vierge Extra (règlement UE n° 1348/2013) désigne une huile de qualité déterminée par les analyses chimiques et organoleptiques avec un taux d’acidité inférieur ou égal à 0,8 %, un indice de peroxyde inférieur à 20 mEq O2/kg, l’huile doit être sans aucun défaut en bouche et au nez et avec un fruité présent. L’huile de Zakros est bien dans ces critères.
Conditions de culture : L’olivier Koroneiki produit des fruits petits appréciés pour la production d’huile d’olive de qualité. Le fruit pèse entre 0,6 " 1.5 grammes, il se récolte au début du mois de novembre jusqu’au mois de janvier. Son contenu en huile d’olive varie de 20% à 30% et elle est considérée comme une variété très productive et résistante au climat sec. En Crête et principalement dans la région de Zakros on trouve seulement des plantations traditionnelles car la typologie du sol ne permet pas de culture intensive.
Au cours de nos nombreuses déambulations dans les oliveraies, (et sur les plateaux des pickups) nous n’avons pas vu de bidons aux marques suspectes ou de sacs plastiques qui auraient pu contenir des produits chimiques.
Les sols arides ne nécessitent pas de désherbage. Et si besoin les ânes, moutons et chèvres se chargent de faire le travail en échange d’apporter leur amendement naturel pour la fertilisation.
Ici pas ou peu de mouche de l’olivier. Extrait : La production d’huile d’olive en Grèce sera en baisse d’« entre 30 et 40 % » cette année en raison de conditions climatiques propices à la mouche de l’olive, … Seule l’île de Crète dans le sud a été épargnée par la prolifération de cet insecte…. Source la France agricole avec l’AFP (12/2018).
Les exploitants étrangers, canadiens, belges, … qui ont achetés des oliveraies, peuvent arroser avec des puits privés et produisent avec un label biologique pour commercialiser vers leurs pays d’origine. Ils ont plus de moyens et traitent leurs arbres avec de l’argile blanche traitement qui donne un aspect vert/bleu aux arbres.
Un rôle économique et social indispensable : L’activité de la coopérative permet de jouer un rôle important pour les producteurs. Si le moulin finance son travail en prélevant 13% de l’huile produite par le lot pressé ; elle joue un rôle important de compensation lorsque les cours de l’huile chutent. Elle surpaye les producteurs pour maintenir un revenu à peu près équivalent à la récolte précédente. Petits producteurs qui sans ce soutien seraient dans l’incapacité de solliciter des prêts bancaires en raison du peu de garanti qu’ils offrent.
Des oliviers arrosés avec de l’eau de source : « L’eau, c’est la vie de Zakros et de ses habitants. Toute l’économie, déjà si fragile, de notre village agricole en dépend », dit le président du TOEB (syndicat de l’eau) qui gère le réservoir de 300.000 litres en haut du village et les interminables tuyaux noirs le long des routes et dans les champs raccordés aux « araignées » de distribution. « Et on se sait pas de quoi l’avenir sera fait ». Inquiet il fait remarquer que l’eau disponible était exactement le double il y a dix ans, … Date à partir de laquelle le réchauffement climatique a commencé à faire sentir ses effets ». Au cœur de l’été 2017, le débit était de 260 m3 par heure. Il variait entre 400 et 500 m3 une décennie plus tôt.
Le responsable du TOEB qui contrôle l’état du réseau de distribution et régule la répartition est aussi inquiet des projets du gouvernement d’Athènes qui envisage une privatisation de l’eau à usage agricole. Et de l’augmentation des prix qui pourrait en découler. Le prix est actuellement de 7 centimes le m3.
Les arbres ne sont arrosés, zone par zone, que tous les 30 jours avec une quantité d’eau ajustée en fonction de l’état des réserves.
Les déchets du moulin, un vertueux recyclage : A Zakros les paysans n’ont pas les moyens de gaspiller, de jeter. Le moulin de la coopérative est géré par des hommes qui savent que gaspiller serait une faute. L’eau de lavage des olives (les margines) est traitée dans par un système d’épuration par lagunage à plusieurs bassins. L’utilisation de ces eaux « nettoyées » a des effets positifs (humification) sur les terres qui les reçoivent. Les plantes montrent une plus grande vigueur végétative due à l’action fertilisante de ces effluents. Ces effets bénéfiques (nettoyant, antibiotique, stimulant) sont connus depuis l’Antiquité.
Les feuilles sont récupérées immédiatement après séparation des olives pour la nourriture des caprins ou pour le compostage qui servira à amender les oliviers ou le potager.
Les solides résiduels, ou grignons, ont plusieurs utilisations. Séchés il servent à chauffer le lait pour la fabrication du fromage. L’excédent est envoyé dans une usine de traitement à Sitia. Plus en images.
L’approche des oliviers et de leur précieuse production n’a été possible que par la présence bienveillante de notre hôtesse Jocelyne. Bien intégrée à la vie du village et parlant grec elle nous a permis de visiter le moulin de la coopérative en production, de rencontrer plusieurs propriétaires pendant la récolte et de partager quelques bons moments avec ses voisins et amis crétois.
En quelques jours, même si la quête a été intense, il n’est pas possible d’appréhender ni les habitants, ni la culture d’un peuple. Pétris de traditions ces gens si généreux restent pour le passager d’un court séjour, silencieux, mystérieux mais attachants.
Il est certain, sans besoin de longues explications, que l’huile d’olive est tout ici. Le signe visible est cette imposante coopérative oléicole (868 tonnes d’huile pour la campagne 2017-2018) à la sortie du village. Elle a su regrouper ces paysans austères qui savent depuis des millénaires soigner les oliviers qui ont compris que le salut était dans la solidarité et l’ouverture au monde.
Et surtout dans la protection attentive de ce bien précieux, fruit d’une nature qu’ils respectent.
Donc ici on ne triche pas. Et comme j’ai pu le voir en Sicile parler d’écologie, de label bio, n’a pas de sens. Ici c’est naturel !
Bien sûr le label bio existe et dans le bureau du directeur de la coopérative il y a une bannette pour les papiers de cette production. Personnellement je ne suis par certain que le cahier des charges bio de la Grèce soit plus rigoureux que la façon de cultiver des petits producteurs de Zakros.
Avec eux. Pour eux ! Acheter et consommer l’huile de Zakros c’est soutenir une production paysanne et protéger un territoire. C’est aussi accompagner un projet économique et social qui repose sur la connaissance ancestrale d’une production qui ne peut être que naturelle. Rompre la confiance avec les nouveaux consommateurs européens pourrait remettre en cause les efforts de ces vingt dernières années pour construire autour de la coopérative une solidarité profitable à tous.
Merci à Jocelyne (ses voisins, ses amis), aux producteurs rencontrés, au personnel de la coopérative, ... Merci Zakros. Jacques Solomiac
Crédits - Photos : Jocelyne, Jacques - Sources des données statistiques et citations, rencontres à Zakros plus web, presse, asso. Les amis de Zakros.